Par Virginie Roy
Le 1er octobre dernier, l’Université de Sherbrooke offrait ses plus sincères condoléances aux proches de Joyce Echaquan et à la Nation atikamekw, saluant du coup même ses différentes initiatives développées en collaboration avec les Premières Nations depuis les dernières années. Mais est-ce assez pour construire une société plus « ouverte, respectueuse et inclusive » comme l’institution le souhaite ?
Les événements entourant le décès de Joyce Echaquan sont tragiques et mettent à l’avant-plan les préjudices vécus par les Autochtones dans la province comme partout au Canada. L’UdeS tente depuis 2017 de mettre en place des procédures pour assurer « une meilleure compréhension de la culture, de l’histoire, du droit et de la réalité des peuples autochtones », comme elle l’exprime sur son site Internet. Mais quelles sont ces initiatives ?
Favoriser l’accès aux études en droit
La Faculté de droit modifiait sa politique d’admission afin d’y inclure des conditions d’admission spécifiques aux candidats membres de l’un des peuples autochtones du pays (Premières Nations, Inuit et Métis).
Selon cette politique, « si le statut autochtone est déclaré et confirmé, la candidature sera considérée dans la catégorie la plus avantageuse, parmi celle des personnes candidates collégiennes ou universitaires qui correspond et celle réservée aux autochtones. »
La Faculté met également de l’avant plusieurs services spécifiques pour assurer l’intégration des étudiants des Premières Nations, tels des soupers d’accueil, la présence d’un coordonnateur ou du mentorat effectué par un juriste autochtone. Les étudiants de 2e et 3e années sont aussi jumelés aux nouveaux admis en tant que tuteur.
L’Association générale des étudiants en droits (AGED) chapeaute aussi le Comité du droit autochtone afin de sensibiliser la communauté étudiante aux enjeux juridiques, historiques et sociaux des Autochtones.
Culture au premier plan
Depuis l’automne 2019, le Centre de langues de l’UdeS propose à toute la communauté universitaire le cours ABK101 — Langue et culture abénakises. Professeur de la langue abénakise depuis 2014 dans les réserves d’Odanak, de Wôlinak et à Montréal, Philippe Charland transmet son amour de cette langue en dormance par des activités d’apprentissage permettant à tous de maitriser une grammaire de base, de poser des questions, de se présenter et bien plus.
« Il n’y a plus de locuteurs L1 (dont c’est la langue maternelle), mais des gens qui ont réappris la langue », expliquait-il en entrevue dans le Courrier Sud au début du mois de septembre.
La culture autochtone est également présente sur le Campus principal de l’Université de Sherbrooke par le biais du jardin ancestral, situé entre les pavillons E3 et E4 et accessible à tous.
Si, à ces débuts il y a deux ans, seules les « trois sœurs » (maïs, courge et haricot grimpant) étaient plantées en tant que représentantes des espèces autochtones, une section herboristerie a été inaugurée il y a un peu plus d’un mois par le professeur d’histoire Tristan Landry. On y retrouve par ailleurs du tabac sacré, des bleuets, de l’échinacée…
Dans le cadre des activités de la rentrée, M. Landry tient d’ailleurs à recevoir un conférencier autochtone depuis deux ans. Il confiait à La Tribune que ces rencontres permettaient « de construire des ponts avec eux. Ils proviennent de communautés que notre société a trop longtemps négligées et c’est maintenant le temps de les redécouvrir et de tendre une main vers elles. »
Les enjeux autochtones et la recherche
Des chercheurs et chercheuses de l’Université de Sherbrooke, de l’Université Bishop’s et de l’Institution Kiuna se sont regroupés pour former le Centre de recherche en études autochtones afin de « fédérer les forces, de développer et de diffuser la recherche sur les enjeux autochtones », comme il est possible de le lire sur le site Internet de l’UdeS.
L’anthropologie, l’éducation, les études littéraires et comparées, le droit, le génie, l’histoire, la médecine, la psychologie, la science politique, la sociologie et la traductologie… L’équipe chercheuse œuvre dans une panoplie de domaines, mais travaille aussi conjointement avec les communautés autochtones.
L’UdeS souhaite ainsi devenir un leader en matière de recherche sur les réalités vécues par les Autochtones au Québec.
Questions à se poser
Les initiatives mentionnées sont une belle preuve d’ouverture de l’institution et de ces acteurs devant les enjeux autochtones. Mais est-ce assez pour répondre à son souhait de créer une société plus inclusive ? Combien d’entre vous avaient réellement entendu parler de celles-ci avant de lire cet article ?
L’abstention du premier ministre Legault à reconnaître la présence de racisme systémique dans la province montre bien qu’une majorité de Québécois n’ont aucune idée de la réalité vécue par les Autochtones.
Saviez-vous par exemple que 56 réserves n’avaient toujours pas accès à l’eau en octobre 2019 ? Que les tristement célèbres pensionnats, ayant pris fin il y a seulement 24 ans, causaient toujours des traumatismes intergénérationnels dans la plupart des nations ?
Tous les mouvements sociaux sont tout aussi importants. Mais pourquoi la mort de Joyce Echaquan, alors qu’elle était censée se faire soigner dans un moment de souffrance, n’a-t-elle pas révolté le public québécois comme la mort de George Floyd l’a fait ?
Le rapport Viens, déposé presque un an jour pour jour avant le décès de l’Atikamekw, a reconnu la discrimination systémique dans les services publics québécois. Mais qu’est-il arrivé à la suite des recommandations émises dans ce rapport ? Sur les 142 appels à l’action proposés par le commissaire, seulement quatre ont été complètement mis en œuvre. À ce rythme, on peut prévoir que dans 35 ans, l’ensemble des recommandations seront réalisées…
Mais que peut-on faire ?
S’intéresser aux projets mis en place par l’UdeS serait un bon début. En plus des projets mentionnés, plusieurs conférences et activités sont souvent organisées — en temps hors pandémie ! — sur le campus.
L’antiracisme passe par l’éducation, jamais on ne le dira assez. Le documentaire Briser le code, disponible gratuitement sur telequebec.tv, ouvre le dialogue sur le racisme. Mais des capsules lexicales ont également été créées par l’équipe derrière ce projet. Maïtée Labrecque-Saganash vient par exemple expliquer les notions de base quand on parle des Autochtones.
Des balados comme Laissez-nous raconter : l’histoire crochie ou Partage des vérités, des livres comme Je suis une maudite sauvagesse de An Antane Kapesh ou Shuni de Naomi Fontaine permettent également de s’ouvrir sur cet univers de notre propre société.
Et s’ouvrir à l’autre, c’est le meilleur remède au racisme.