Par Joanie Crack
En vigueur au Québec depuis le 1er septembre 2021, le passeport vaccinal fait partie des nombreuses mesures sanitaires imposées par le gouvernement du Québec pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Ce document, faisant office de preuve de vaccination au virus, permet aux citoyens vaccinés d’avoir des privilèges particuliers, comme l’accès aux restaurants, aux gyms, aux salles de spectacle et aux cinémas.
À l’heure où l’on procède à une importante campagne de vaccination et que plus de 80 % de la population québécoise a reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19, un débat fait surface quant à la pertinence d’exiger le passeport vaccinal et les enjeux éthiques et légaux que cela soulève.
Dans l’optique où certains États exigent déjà une preuve de vaccination contre certaines maladies pour l’entrée des touristes à leurs frontières, est-ce légitime de transposer cette exigence dans le contexte de la COVID-19 et de rendre l’accès à certains lieux et secteurs d’activités conditionnel à cela?
Encourager le « retour à la normale »
Un des arguments avancés par Monsieur François Legault est que dans le cadre d’un déconfinement, ce document est un moyen de favoriser la relance des activités économiques et sociales, tout en instaurant un environnement sécuritaire pour tous les Québécois.
L’instauration du passeport vaccinal est une mesure de santé publique extrêmement bien justifiée, selon la professeure en bioéthique de l’Université de Montréal, Vardit Ravitsky. Elle précise qu’il s’agit d’une mesure qui encourage non seulement « le retour à la normale », en plus de permettre à tous nos établissements de rester ouverts en cas d’éclosions. Devant les questionnements face à la légitimité du passeport vaccinal, elle répond :
« Quand c’est bien ciblé comme ça, donc temporaire et spécifique à un endroit ou une activité, je ne pense pas qu’on peut parler de discrimination. C’est une mesure de santé publique appliquée de manière proportionnelle, pour éviter de plus grandes violations des droits de la personne ».
Vardit Ravitsky, professeure en bioéthique de l’Université de Montréal
Selon elle, la démarche du Québec est plus adéquate que ce qui a déjà été implanté dans plusieurs autres pays dans le monde. Ailleurs, l’accès à plusieurs lieux et rassemblements a été réservé à ceux qui présentaient une preuve de vaccination, ce qui a créé deux classes dans la société. Face à ces critiques, Madame Ravitsky tranche que le Québec ne sera pas confronté à cette réalité étant donné que les mesures entourant le passeport vaccinal sont claires et ciblées à court terme.
Des opinions divergentes
Bien qu’une grande partie de la population partage la vision de Madame Ravitsky, l’opinion publique reste considérablement partagée face à la question de la légitimité du passeport vaccinal. Plusieurs, dont la Ligue des droits et libertés (LDL), s’inquiètent sur « les conséquences graves » que pourrait avoir le passeport vaccinal sur les droits et libertés de la population québécoise.
La LDL soutient d’ailleurs le fait que le gouvernement du Québec ne devrait pas avoir le pouvoir de décider de manière unilatérale et opaque des mesures pouvant restreindre les droits et libertés. C’est pourquoi, selon la Ligue, l’état d’urgence devrait être levé afin que les mesures sanitaires soient débattues par l’Assemblée nationale avant d’être appliquées.
« Il faut qu’on déconfine notre démocratie, il faut que les mesures sanitaires soient mises au débat public […] ce qui n’est pas possible avec l’état d’urgence sanitaire ».
Alexandra Pierre, porte-parole, Ligue des droits et libertés
D’autres soulèvent des inquiétudes face aux effets négatifs à long terme de l’imposition du passeport vaccinal, notamment en matière d’équité, de sécurité, de vie privée et de discrimination. Les fervents de ce discours ajoutent que sans balises précises, l’attestation du passeport vaccinal pourrait s’étendre sur plusieurs autres situations, voire devenir un critère d’embauche, d’accès au logement ou un motif de congédiement.
L’enjeu des droits et libertés
La légitimité du passeport vaccinal a été l’enjeu dont on a le plus discuté depuis que le gouvernement québécois a fait l’annonce de l’adoption de ce document. Bien que le passeport vaccinal aille à l’encontre de certains droits fondamentaux inscrits dans la Charte des droits et libertés, comme le droit à la vie privée, il pourrait tout de même passer le test des tribunaux, selon l’avocat spécialisé en droit constitutionnel et public, Jean-Philippe Groleau.
Celui-ci explique que l’atteinte de ces droits peut être justifiée si l’objectif est qualifié comme étant « important », et s’il y a un lien rationnel entre cet objectif et la mesure proposée. Étant donné que l’objectif établi par le gouvernement du Québec avec l’imposition du passeport vaccinal est « la protection de la santé publique », il s’agit d’une mesure complètement légitime.
Cependant, dans l’éventualité où le passeport vaccinal serait contesté devant les tribunaux, Me Groleau s’attend à ce que le débat soit autour de la question de l’« atteinte minimale ». En guise de précision, ce concept se rattache à la question suivante : est-ce qu’il existe une mesure moindrement attentatoire à la liberté qui permettrait d’atteindre le même objectif de santé publique? Il s’agit d’une question fort intéressante, toujours sans réponse.
Dans l’optique où l’opinion publique face à la question de la légitimité du passeport vaccinal est fortement divisée, il ne serait pas surprenant que dans un avenir rapproché, nous assistions à des débats d’experts très complexes.
Crédit photo @ Olya Kobruseva