Par Judith Doré Morin
Le 25 octobre, en réponse à l’invitation du comité Frigo Free Go de l’Université, Tristan Landry a partagé ses trucs et astuces concernant la fermentation des aliments. Le Professeur en histoire de l’alimentation et adepte de l’alimentation locale a montré au public comment préparer de la choucroute, une version adaptée du kimchi traditionnel coréen et de la saumure.
Avec cette présentation, Tristan Landry démontre qu’il est possible de procéder à la fermentation des aliments simplement, et ce, même en vivant en appartement. Il suffit de quelques bocaux, d’un peu sel et de légumes frais!
Un procédé qui a marqué l’histoire
La lactofermentation permet de conserver les aliments plus d’une année et constitue donc un moyen de lutter contre le gaspillage alimentaire. Avant l’arrivée de la conserve et des réfrigérateurs, la fermentation constituait une méthode préconisée pour transformer et préserver les fruits et légumes.
Que ce soit pour éviter le scorbut en mer ou maximiser l’utilisation des légumes cultivés en temps de guerre, les atouts nutritifs de ce processus en font un outil qui a marqué l’histoire. D’ailleurs, en matière de conservation des aliments à l’échelle domestique, la mise en conserve n’est pas une panacée. La vigilance est de mise, puisque cette méthode nécessite que les pots soient stérilisés. Pour ce faire, ils doivent être plongés dans une eau dont la température est constamment au-delà de 100 ◦c. Autrement, des bactéries pernicieuses se développent à l’intérieur du pot.
Des bénéfices toujours d’actualité
Le processus de lactofermentation se base sur l’activité bactérienne. La création d’un milieu anaérobique par l’ajout de saumure autour des aliments permet aux bonnes bactéries présentes naturellement sur ceux-ci de se développer. Ces bactéries, soient des probiotiques, produisent du dioxyde de carbone et acidifient ainsi le milieu. De ce fait, nul besoin de stérilisation puisque l’acidité élevée empêche le développement de micro-organismes pernicieux.
Les controverses concernant la consommation de produits fermentés sont nombreuses. Leurs impacts sur le corps humain sont sujets à débat au sein de la communauté scientifique. Des études récentes présentent d’ailleurs qu’après trois semaines sans consommer ces produits, il ne reste plus aucune trace de bactéries ainsi ingérées dans le corps. Toutefois, comme l’explique Tristan Landry, il faut comprendre que les communautés bactériennes présentes dans les produits fermentés, tels que le kombucha et la choucroute, ne sont pas des espèces colonisatrices.
Le rôle de ces probiotiques peut être comparé à celui des maîtres de kung-fu, notamment puisqu’elles montrent aux bactéries présentes dans le corps à mieux utiliser l’énergie. Les études tendent à démontrer que le manque de variété de bactéries dans la flore intestinale constitue un facteur favorisant le développement de certaines maladies, telles que l’obésité et les cancers intestinaux. Autrement, la fermentation améliore la biodisponibilité des nutriments retrouvés dans les aliments puisque les bactéries débutent le processus de fermentation. Ainsi, en hiver, manger de la choucroute permet d’obtenir plus de vitamines C que de consommer une orange importée de loin. Il importe toutefois de consommer ces produits crus, puisque la cuisson élimine les bactéries.
Perte de biodiversité… et de nutriments
La popularisation de la monoculture, soit la culture d’une seule espèce sur de grandes parcelles de terre, ainsi que la facilitation des échanges commerciaux entre les différentes régions du monde représentent deux facteurs ayant contribué à la perte importante de biodiversité. Au cours du dernier siècle, près de 94 % de la diversité des semences a disparu à l’échelle planétaire. En effet, les critères de sélection des espèces ne se résument plus au potentiel nutritif, à la capacité de se conserver et à la diversité. Désormais, dans un monde capitaliste, la sélection des aliments s’effectue davantage en fonction de leur rapidité à croître dans toutes sortes de conditions et de leur capacité à voyager sans s’endommager. Or, il ne faut parfois que quelques jours après sa cueillette pour qu’un fruit ou un légume commence à perdre ses nutriments.
Que ce soit pour faire de la choucroute, du kimchi ou tout autre plat, Tristan Landry emploie les légumes issus d’une ferme biologique de la région. Cela lui permet d’accéder périodiquement à un panier rempli de produits frais et de saison. C’est sa façon à lui d’encourager le développement d’un système agroalimentaire à petite échelle et de se déconnecter de l’économie de plastique.
Autrefois répandu, le goût pour les aliments acides s’est fait détrôner par les produits gras et sucrés de l’industrie agroalimentaire. Apprécier les aliments acidulés est toutefois quelque chose qui s’acquiert. C’est un goût qui tend à être oublié, mais qui apporte toutefois de nombreux avantages pour la santé.
Trucs et astuces pour une fermentation réussie
Puisque la fermentation requiert de travailler avec des micro-organismes et des aliments, il convient de prendre certaines précautions afin d’éviter tout désagrément. Puisque le produit s’acidifie avec l’action des bactéries, il importe d’utiliser un contenant fait d’un matériau résistant et de grade alimentaire. Tristan Landry préconise les pots en verre, d’une capacité de quatre ou cinq litres, pour ses fermentations.
Le contenant doit être fermé et plutôt étanche. Il faut en effet que le dioxyde de carbone puisse s’échapper afin d’éviter toute explosion, sans toutefois que l’air ambiant puisse pénétrer. Une entrée d’air favoriserait un processus d’oxydation des aliments ou le développement de moisissures indésirables. Des bouchons adaptés existent d’ailleurs dans certains magasins d’accessoires de cuisine, tels que Doyon Després.
Afin d’éviter que le produit soit en contact avec l’air, il faut s’assurer que les aliments soient toujours submergés dans la saumure. Cette eau salée est produite avec de l’eau sans chlore, donc qui a reposé toute une nuit ou qui a bouilli pendant au moins vingt minutes. Pour créer une saumure d’une concentration de 2 %, il suffit d’ajouter 10 g de sel à 500 ml d’eau, ou bien 20 g de sel à 1000 ml d’eau. Le sel ne doit pas contenir d’additif, tel que l’iode, dont les propriétés antiseptiques nuiraient au développement des bactéries.
Il peut arriver que du liquide sorte du contenant au cours des premiers jours. Afin d’éviter tout problème, placer le contenant dans un grand bol et nettoyer le tout régulièrement.
Le processus de fermentation peut prendre plusieurs semaines. Il faut plus de temps lorsque le temps est frais, puisque l’activité bactérienne est naturellement ralentie, et il faut moins de temps lorsque la température s’élève. Il est pratique d’indiquer la date de production sur le pot afin d’assurer un suivi rigoureux. Dans tous les cas, ces méthodes de fermentation permettent de conserver les produits plus d’une année. Il est recommandé de garder le pot au réfrigérateur après ouverture, ainsi que de ne pas consommer le produit si celui-ci n’est pas acide.
La fermentation est une méthode simple de conservation des aliments qui s’apprend avec le temps. Il faut toutefois être patient et s’attendre parfois à faire des erreurs.
Crédit Photo @ Marie-France Coallier, Le Devoir