Par Josiane Demers
D’origine haïtienne et québécoise, Noémi Mercier cumule plusieurs années d’expérience dans les médias. Son parcours diversifié et bien rempli fait de la cheffe d’antenne nationale de Noovo le fil 17 une intervenante idéale pour discuter de la place des personnes noires dans l’univers médiatique québécois.
Il est essentiel d’aller au-delà de l’image ou du symbole. « Ce n’est pas tout d’engager des gens de la diversité. La diversité, ce n’est pas juste mon visage sur une affiche », explique madame Mercier. Il faut accorder une véritable place aux personnes d’origines diverses en écoutant leur point de vue et en reconnaissant les avantages d’intégrer des perspectives multiples au contenu.
Reflet de la collectivité
La diversité dans les médias traditionnels, c’est entre autres une question de représentation. Les gens doivent voir, lire ou entendre des personnes qui leur ressemblent. Difficile de se projeter dans ce type de carrière lorsqu’on ne s’identifie pas à ce qui est présenté.
Selon le recensement de 2016, ces personnes correspondent à 13 % de la population québécoise. Toutefois, dans une étude sur les médias écrits au Québec parue en 2021 et menée par l’organisme Équiliste, « la présence des experts issus des minorités visibles et ethniques dans les médias francophones et anglophones est faible, elle représente respectivement 9 % et 7 % des citations totales ».
Perspectives multiples
La cheffe d’antenne explique que la diversité dans les médias va bien au-delà de la représentation. « La diversité, c’est tenir compte de perspectives multiples sur des enjeux d’actualité qui nous permettent de mieux faire notre job, c’est-à-dire qu’on se rapproche de la vérité », explique-t-elle. Elle image son propos en prenant en exemple un accident de voiture. Dans une telle situation, les témoins positionnés à différents endroits auront des perspectives divergentes, mais tout aussi utiles et valables pour en arriver à une vision d’ensemble et à une conclusion fidèle à ce qui s’est vraiment produit.
« Depuis longtemps, il y a une version qui a été dominante et une autre version qui a été marginalisée. On a tendance à voir la version dominante comme la version la plus valide. Les expériences que des personnes marginalisées ont sont très informatives et peuvent venir corriger les lacunes dans les perspectives de la majorité », soutient madame Mercier.
Elle utilise la police en exemple. « Pour les personnes privilégiées économiquement et culturellement, la police se veut rassurante et bienveillante. En revanche, pour des groupes marginalisés, la police représente une menace pour leur sécurité et leur intégrité », élabore-t-elle. Les communautés marginalisées sont les meilleures personnes pour venir ébranler le discours policier dominant. « C’est un bon exemple de comment intégrer les perspectives différentes et ça rend le travail plus complet et plus rigoureux », selon l’animatrice. Elle souligne qu’inclure différentes visions des choses n’amène pas un biais ou un manque de neutralité, mais que cela permet plutôt une analyse complète.
Identité québécoise et responsabilité
La diversité dans les médias traditionnels est également importante pour l’image de ce que la société se fait d’un Québécois ou d’une Québécoise.
Madame Mercier est consciente qu’être une femme noire à l’écran engendre une responsabilité additionnelle, ce qu’elle assume et accepte pleinement. Elle souhaite profiter de sa position professionnelle actuelle et de son privilège pour ouvrir la porte aux autres. Bien que les communautés noires aient des alliés, elles sont les mieux placées pour faire avancer cet enjeu. Cela peut se comparer au féminisme. Ce sont des femmes qui ont forgé le chemin vers une plus grande égalité entre les sexes.
Du leadership et de l’accompagnement
Comment les organisations et la classe politique doivent-elles agir pour s’assurer que les personnes noires ou de toutes autres origines ne soient pas instrumentalisées à cause de la couleur pour remplir des exigences? « Il faut intégrer l’idée que ce n’est pas un fardeau ou une norme sociale à laquelle il faut maintenant se plier. Le leadership des institutions doit comprendre l’enjeu et être capable d’articuler pourquoi la diversité est importante », explique la cheffe d’antenne.
Il faut également changer ses pratiques de recrutement. Les organisations doivent être en mesure de comprendre et surtout, d’intégrer l’idée que certaines personnes peuvent avoir besoin d’un accompagnement supplémentaire ou simplement différent. Elles ne sont pas moins compétentes, elles ont tout simplement un parcours de vie différent. Elles peuvent avoir des opinions divergentes sur certains sujets sensibles; il faut leur accorder une crédibilité.
Prix Médias Dynastie
Le 27 février prochain, qui coïncide avec la conclusion du Mois de l’histoire des Noirs, seront présentés les Prix Médias Dynastie qui visent à souligner le talent des personnes des communautés noires qui se sont illustrées dans les médias cette année. Celle qui a déjà été rédactrice en chef d’un journal étudiant, soit le Montréal Campus de l’UQAM, est l’une des nommées dans la catégorie Animateur ou animatrice télé de l’année. Un tel évènement fait certainement œuvre utile.
« Je trouve que ce genre d’évènement fait deux choses. Ça met en valeur des visages qu’on connaît peu. Aussi, pour les gens qui ne savent pas où chercher des personnes de la diversité à engager, ça présente un beau répertoire de personnes compétentes et intéressantes », explique l’animatrice de la série documentaire Kébec.
Sur une note plus personnelle, Noémi Mercier souligne que c’est lors de tels évènements qu’elle réalise l’importance de son rôle de femme noire à l’écran dans un poste clé, alors que plusieurs personnes lui mentionnent.
Elle souligne qu’il s’agit d’un moment spécial ou elle retrouve une communauté d’esprits. « Malgré nos parcours hétérogènes, on a une expérience commune, celle d’évoluer dans cette société-ci avec une couleur de peau différente des autres. C’est un terrain commun lourd de sens. On se retrouve dans un espace où les choses sont comprises sans avoir à être dites ou expliquées, ça me fait un très grand bien », conclut-elle.
Crédit photo @ NOOVO, relations publiques