Par Camille Sévigny
Les deux dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes sur le plan des décès soudains dans le monde du cinéma et de la musique. La nouvelle de la disparition de l’auteur-compositeur-interprète Karim Ouellet a certainement été un choc considérant son jeune âge (37 ans). Les circonstances tragiques du décès accidentel en ski de l’acteur Gaspard Ulliel ont frappé de plein fouet son entourage. Et finalement, le départ du réalisateur Jean-Claude Lord afflige considérablement le milieu l’ayant vu évoluer au cours des dernières décennies.
Voici donc un humble hommage visant à souligner leur apport respectif à la culture québécoise et internationale.
Karim Ouellet, un brillant poète
Né au Sénégal en 1984, il a été adopté à l’âge d’un an par un couple de diplomates québécois. Ayant vécu en Europe pendant la grande majorité de son enfance, il est revenu s’installer au Québec à l’âge de 15 ans. Depuis toujours, son intérêt pour la musique est marqué. Il a d’ailleurs appris à jouer d’une variété d’instruments, tels que le piano et la guitare. L’écriture était aussi un courant d’expression naturelle puisqu’il composait déjà ses premières chansons vers l’âge de 7 ans. Vers la fin de l’adolescence et pendant sa jeune vingtaine, il s’est joint à divers groupes de musique locaux, principalement en tant que guitariste.
Ces années d’expérience lui ont permis de se créer un réseau de collaborateurs dans le monde de la musique québécoise émergente, tels que Claude Bégin, avec qui il a collaboré lors de la réalisation de ses projets solos. C’est d’ailleurs en 2011 qu’il a lancé son premier album, intitulé Plume. La même année, il a remporté la deuxième place au festival des Francouvertes.
À la suite d’une tournée s’étalant de Montréal jusqu’en France, il a lancé son deuxième album Fox, en 2012. Une œuvre qui a connu un succès instantané grâce à ses titres L’amour et la chanson-titre Fox. En effet, ce deuxième album lui vaut d’être sélectionné dans trois catégories au gala de l’ADISQ 2013 (interprète masculin de l’année, album pop de l’année et chanson de l’année pour L’amour). Bien qu’il n’ait pas remporté ces titres, il est nommé révélation de l’année Radio-Canada pour cette même année.
En 2014, Fox remportait le Juno du meilleur album francophone à l’échelle nationale. Pour donner suite à ce succès monstre, Karim part en tournée, s’éloignant ainsi de l’effervescence. En 2016, il est revenu en force avec son troisième opus, Trente, puis un EP gratuit, Aikido.En 2018, il est devenu porte-parole pour le Mois de l’histoire des Noirs au Canada. Depuis 2019, il travaillait sur un quatrième album.
Bien que restreint, son héritage musical est riche de ses influences folk, reggae et africaines, qui s’allient à une poésie douce-amère où la souffrance et la beauté de l’expérience humaine se transposent en un amalgame de sincérité lumineuse.
Gaspard Ulliel, une étoile montante du cinéma français
Aussi né en 1984, Gaspard Ulliel était un acteur français au parcours impressionnant et au potentiel grandissant. Ayant étudié le cinéma à l’Université de Saint-Denis, il joue autant à la télévision, au cinéma et au théâtre. Il se démarque par l’intelligence émotionnelle qu’il apporte lors de l’interprétation des personnages qu’il cambre.
Au milieu des années 2000, on a pu le remarquer dans le rôle du jeune Hannibal dans le film Hannibal Rising (2007), son premier film anglophone. Il obtient alors le César de l’acteur le plus prometteur en 2004 pour son rôle de soutien dans le film Un long dimanche de fiançailles. En 2014, il a tenu le rôle-titre dans le film biographique Saint-Laurent, relatant la vie du designer français du même nom. Ce rôle lui a valu une nomination aux Césars et aux Globes de Cristal, en plus du prix des Lumières pour meilleur acteur.
En 2016, il a collaboré avec Xavier Dolan et a tenu le rôle principal de son film Juste la fin du monde, aux côtés de Vincent Cassel (La Haine), Marillon Cotillard et Léa Seydoux. Cette œuvre sélectionnée aux Césars lui a valu un deuxième prix du meilleur acteur, en plus de nouvelles nominations aux prix Lumières et aux Globes de Cristal. En 2018, l’acteur a le vent dans les voiles alors qu’il joue aux côtés de Gérard Depardieu dans le film Les Confins du Monde. En 2021, il poursuivait son ascension en rejoignant la distribution de la série Moon Knight réalisée par Disney+.
Mis à part ses multiples rôles à l’écran, Ulliel est aussi devenu le visage de marques et produit de luxe, tels que Bleu de Chanel et Longchamp. Il laisse dans le deuil sa conjointe Gaëlle Pietri, ainsi que leur enfant, mais aussi toute une communauté de collaborateurs dans le monde du cinéma international qui voit disparaitre l’une de ses étoiles les plus prometteuses.
Jean-Claude Lord, un réalisateur vétéran
Né en 1943, Jean-Claude Lord était un scénariste et réalisateur québécois. D’abord assistant à la réalisation et scénariste dans le domaine privé, il a appris petit à petit le métier aux côtés de son mentor, le réalisateur Pierre Patry. Visionnaire avant l’heure, il a réalisé son premier film en 1965, soit Délivrez-nous du mal. Film qui raconte pour la toute première fois l’histoire d’un couple homosexuel à une époque où l’Église catholique régnait toujours en reine et maitresse des mœurs au Québec.
Suite à la Crise d’octobre, Lord dépeint alors la paranoïa omniprésente au Canada et aux États-Unis causés par le scandale de Watergate avec son second film, Bingo (1974). Bien que cette prise de position plutôt radicale pour l’époque l’ait un peu mis dans une case à part, le réalisateur poursuit sur sa lancée dans les années 1980. Entre autres avec la série-culte Lance et Compte, qui a établi des records de cotes d’écoute à travers la province et lui valut un prix Gémeaux en 1987. Il a aussi pris part au retour de cette même série dans les années 2000.
En 2017, l’Assemblée nationale lui a décerné le prix Guy-Mauffette pour l’ensemble de son œuvre et son apport à la culture et l’industrie audiovisuelle québécoise. Il laisse derrière lui un héritage significatif alors que son fils suit ses traces en tant que réalisateur.
Crédit image @ Olivier Jean, La Presse