Le 24 février dernier, peu avant 6 h du matin, heure de Moscou, Vladimir Poutine émet une déclaration télévisée indiquant le début d’une « action militaire spéciale » contre l’Ukraine. Il prétexte vouloir démilitariser le pays voisin en accusant le gouvernement de Kiev de « génocide » contre les citoyens prorusses dans la région du Donbass. Toutefois, les vraies raisons derrière cette attaque résident dans la volonté ukrainienne de se rapprocher de l’Union européenne (EU) et de l’OTAN, ce qui contrarie le Kremlin.
C’est pourquoi une guerre illégale violant plusieurs traités internationaux se déroule sur le territoire ukrainien. Depuis presque deux décennies, les hostilités entre les deux nations, qui jadis étaient deux membres fondateurs de l’ex-URSS, ne cessent de s’amplifier. Jusqu’où est prêt à aller le président russe? Il est difficile d’émettre des hypothèses, alors qu’il y a peine quelques jours, personne n’aurait prédit une attaque aussi orchestrée et impitoyable.
L’ABC des évènements
Rappelons que l’Ukraine est un pays indépendant depuis 1991, soit peu de temps après la chute de l’Union soviétique. Cette souveraineté est reconnue par la Russie à travers plusieurs traités, mais les récents agissements de son gouvernement indiquent le contraire.
En 2004, une vaste partie de la population ukrainienne descend dans les rues pour contester l’élection du candidat prorusse Viktor Lanoukovytch. Cette « révolution orange » engendre un resserrement des liens entre l’Ukraine et l’occident, particulièrement avec l’OTAN et l’EU. Cependant, Lanoukovytch est élu en 2010, nouvelle accueillie favorablement à Moscou. Ce dernier encourage les relations avec la Russie. Il permet à Poutine d’utiliser une base militaire en Crimée, région au sud-est de l’Ukraine.
En février 2014, les manifestations pro-européennes reprennent et Lanoukovytch fuit en Russie. À ce moment, le gouvernement pro-occidental ukrainien par intérim signe un traité, soit le Partenariat oriental, qui assure un rapprochement entre six pays et l’EU. Poutine envoie son armée occuper la Crimée.
À la suite d’un référendum non reconnu par la communauté internationale, la région est annexée à la Russie. C’est alors que le Donbass, où les séparatistes prorusses sont nombreux, entre dans un conflit qui coûtera la vie à plus de 13 000 militaires et civils. Les accords de Minsk, essentiellement des cessez-le-feu, sont adoptés peu de temps après et les combats cessent.
En 2019, Volodymyr Zelensky, avec une plateforme électorale promettant de reconquérir le Donbass, devient président de l’Ukraine et l’est encore à ce jour. Il s’agit d’une situation inquiétante pour Poutine, qui craint un rapprochement avec les États-Unis et ses alliés.
En décembre 2021, le dirigeant russe demande à l’Ukraine ainsi qu’à l’OTAN des garanties que l’État ukrainien n’intégrerait jamais l’organisation. Une promesse impossible à envisager pour une nation indépendante. Face à ce refus, Poutine envoie 100 000 militaires à la frontière ukrainienne. En 2022, le président de la Russie reconnaît l’indépendance des territoires du Donbass et lance l’assaut.
Sans l’appui de la population?
Cette guerre paraît différente à celle de la Crimée. Effectivement, à ce moment, Poutine a l’appui de son peuple pour aller de l’avant, du moins en apparences. Dans une table ronde menée par des chercheurs de l’Université de Montréal, la chargée de cours en études politiques Ekaterina Piskunova affirme que : « Le kremlin ne fait même pas l’effort d’aller chercher l’approbation de la population. Vladimir Poutine se croit un messie qui est appelé à rétablir la normalité dans le monde pour faire opposition au monde occidental. Les Russes ne sont pas emballés à l’idée de mener une guerre à un pays avec lequel ils ont des liens culturels et politiques forts. Il sacrifie son lien avec son peuple. Il veut imposer sans demander. » Ceci constitue un changement de comportement de la part du leader, ce qui représente un élément important pour une analyse approfondie de la situation.
Même avec le régime de répression qui règne en Russie, plusieurs protestations ont eu lieu. Certains médias de gauche ont dénoncé les attaques et des pétitions initiées par l’establishment universitaire, médiatique et social russe qui circulent en ligne. Beaucoup disent avoir honte des actions de leur président.
Des sanctions incomplètes
Aucun État n’a encore envoyé de soldats en renfort à l’armée ukrainienne. Cependant, plusieurs pays comme les États-Unis, le Canada ou encore les États membres de l’EU, ont dénoncé les actes initiés par Vladimir Poutine. Certains y sont allés de sanctions économiques et énergétiques. Notons que la Russie possède énormément de gaz, de pétrole et de charbon.
Les sanctions restent incomplètes selon Frédéric Mérand, professeur en science politique à l’Université de Montréal. Il avance que seul un réel boycottage du gaz russe risquerait de faire reculer Poutine. Évidemment, une telle action serait lourde de conséquences pour les consommateurs à travers le monde. « Les États-Unis et l’Europe vont devoir accepter que la facture monte pour avoir un vrai impact », soutient-il.
Le chercheur affirme que cette guerre risque de resserrer les liens entre les membres de l’OTAN. Il est possible que cela soit insuffisant, alors qu’il est impossible d’isoler la Russie étant donné ses multiples alliés qui ne boudent pas leur plaisir de voir l’Occident dans l’embarras, notamment la Chine. Cette dernière a refusé de dénoncer les actions du Kremlin sans toutefois les encourager, mais les experts s’entendent pour dire que l’abstention représente une prise de position en soi.
Alliance sino-russe
Il ne faut certainement pas négliger la possibilité d’une alliance entre la Chine et la Russie. Il serait étonnant que le gouvernement russe, à lui seul, malgré ses nombreux militaires, puisse avoir les moyens économiques de maintenir une guerre à long terme en Ukraine. Toutefois, la Chine, qui a une armée plus petite, est financièrement en santé. Les deux États sont donc complémentaires.
Comme l’explique Ekaterina Piskunova : « Ces deux pays partagent l’une des plus grandes frontières au monde. La volonté de la Chine de développer davantage l’agriculture favorise également les rapprochements, car la Russie est avide de contrats, vu son abondance de terre agricole non exploitée. » Ce ne sont que quelques exemples des avantages que pourrait soutirer la Russie et la Chine d’une éventuelle alliance.
Plusieurs craignent une troisième guerre mondiale. Selon les experts, il est impossible de prédire l’issue de ce conflit. Guillaume Sauvé, chercheur politique, affirme que « la Russie n’a pas intérêt à mener une guerre longue, ni financièrement ni à cause de l’opinion populaire. Elle a intérêt à une guerre éclair ».
* Au moment d’écrire ces lignes, l’armée russe entame ses attaques sur la capitale de l’Ukraine, Kiev.
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