Par Pierre-Nicolas Bastida-Tousignant
Chose promise, chose livrée : malgré de nombreux avis défavorables, le budget du gouvernement Legault présenté le 22 mars dernier confirme des baisses d’impôt. Autre fait saillant, une augmentation significative du budget en éducation et… toujours rien concernant le troisième lien.
La réduction des taux d’imposition de 1 % des deux premiers paliers d’imposition, effective dès le 1er juillet, augmentera les revenus nets pour 4,6 millions de personnes québécoises. Selon le ministre Girard, cette augmentation du revenu net permettra d’augmenter l’épargne des individus ayant un plus faible revenu. Le budget prévoit aussi une bonification du crédit d’impôt pour solidarité. Le solde sera palpable au printemps 2024, lorsque les déclarations de revenus seront effectuées.
Cette réduction fiscale signifie une facture annuelle de 1,7 milliard de dollars pour le gouvernement. Elle sera financée par une diminution des transferts dans le fonds des générations pour une période de cinq ans, totalisant 9,2 milliards de dollars. Le but de cette mesure serait de valoriser le travail et de stimuler l’économie.
Le budget prévoit aussi un crédit d’impôt, d’une durée de 10 ans, aux entreprises. Québec veut stimuler l’investissement privé dans certains secteurs ciblés. Notamment, la Fonderie Horne pourrait toucher jusqu’à 125 millions de dollars en crédits d’impôt annuels. Les entreprises seront aussi en mesure d’obtenir un congé de cotisation au Fonds des Services de Santé (FSS) pour les salaires versés aux employés pour l’ensemble de leurs activités.
Ces mesures fiscales ont pour cible d’augmenter la productivité québécoise de sorte à augmenter la croissance du PIB nominal et, par le fait même, les revenus de l’État. Nonobstant, une baisse d’impôts, aujourd’hui, doit-elle être compensée par une augmentation des impôts futurs ?
Marché du travail
Le marché du travail se trouve dans une situation conjoncturelle délicate. Le vieillissement de la population québécoise et la diminution du taux de natalité par ménage ne laissent guère de marge de manœuvre. Le taux de chômage au Québec s’établissait à 4,1 % en février 2023, soit 0,9 % sous le chômage naturel théorique. On peut donc dire que le Québec est dans un contexte de plein emploi.
Le pari du gouvernement consiste à inciter les travailleurs actifs à augmenter leur offre de travail, à motiver les personnes inactives à intégrer le marché du travail et à stimuler la force de travail des personnes âgées de 65 ans et plus. Ces derniers pourront retirer leurs cotisations au Régime des Rentes du Québec (RRQ) de sorte à bonifier leurs revenus nets.
Pour que cette diminution d’impôt entraîne une augmentation des revenus de l’État, il faudrait que la somme des rapports entre la productivité et les heures travaillées de l’ensemble de la population active augmente plus que la baisse de la contribution fiscale. Le prix réel à payer aujourd’hui sera de diminuer notre temps consacré à toutes activités non rémunérées. À court terme, il est possible que nous puissions nous adapter à cette nouvelle réalité. En revanche, à moyen terme, qu’en adviendra-t-il ?
Admettons que l’offre de travail augmente au moment même où les entreprises augmentent leur demande de travail. La population québécoise a connu une croissance de 0,68 % en 2022. L’âge moyen et médian était de 43 ans à la même période. Il faudra admettre un taux d’immigration plus important pour soutenir les prédictions de croissance économique présentées dans le présent budget.
Dépenses et revenus
Le budget prévoit des déficits décroissants, pourvu que les revenus excèdent les dépenses. Or, durant l’année 2023-2024, le Québec essuiera un déficit de 1,6 milliard de dollars. Cependant, selon les prévisions pour l’année 2025-2026, on enregistre des surplus budgétaires.
Ce budget prévoit une augmentation annuelle moyenne des revenus à 3 % et celle des dépenses à 2,1 %. Puisque l’augmentation des dépenses en santé et en éducation prévue pour l’année courante dépasse 3 %, il faudra nécessairement que d’autres dépenses diminuent pour que la moyenne des dépenses ne dépasse pas 2 %. Cette supposition est incertaine et sa réalisation l’est tout autant.
Le grand défi de l’année financière actuelle du gouvernement Legault sera de respecter son cadre financier au niveau de ses dépenses budgétées.
Constats généraux
La politique budgétaire et fiscale menée par le gouvernement provincial va à contre sens de la politique monétaire menée par la Banque Centrale. Ces politiques pourraient augmenter les niveaux de l’inflation actuelle. Dans le cas où l’inflation persisterait, la dette du gouvernement maintiendrait son fléchissement par l’érosion de la valeur de la monnaie… Et encore faut-il que l’économie québécoise respecte le modèle que propose le gouvernement !
Toute diminution d’impôt, aujourd’hui, doit être compensée par une hausse d’impôt dans le futur. Dans une société à population vieillissante comme le Québec, la part des dépenses en santé devrait nécessairement augmenter. Dans ce cadre, il sera impératif d’avoir obtenu des gains d’efficacité pour soutenir cette part grandissante de la population. Sans quoi, nous devrons augmenter les impôts à nouveau ou perpétuer les budgets déficitaires. Dans un scénario pessimiste, il se pourrait que l’on doive augmenter les taux d’imposition en plus d’augmenter notre dette.
Malgré cela, il se pourrait que ces assouplissements fiscaux motivent les contribuables à travailler plus en leur permettant d’augmenter leur épargne privée. L’augmentation de l’épargne privée pourrait entraîner une diminution des taux d’intérêt. La baisse de taux d’intérêt pourrait augmenter l’investissement des entreprises en innovation. Il se pourrait que ces congés fiscaux entraînent les entreprises à moderniser leur production et à économiser le travail de sorte à diminuer la nécessité de main-d’œuvre… Mais cela représente beaucoup de conditions pour arriver aux résultats souhaités par l’actuel gouvernement.
Le budget Girard de 2023 est ambitieux et optimiste, à condition d’engendrer une croissance économique modérée et stable. Même son modèle de récession admet un retour à l’équilibre budgétaire d’ici 2029-2030. Si son modèle suit la tendance, il est possible que nous puissions profiter d’une économie plus efficace et plus égalitaire. Dans le cas contraire, ce budget nous annonce des lendemains incertains en donnant maintenant la note que nous devrons payer durant les prochaines décennies.
Crédit image @Eric Girard