Avortement en Amérique du Nord : un droit acquis ou menacé?

Par Alexia LeBlanc

Alors que plusieurs croyaient que le droit à l’avortement était un sujet réglé, quelques États américains sont venus prouver le contraire dans les derniers mois en adoptant des lois très restrictives. En mai dernier, l’Alabama a d’ailleurs adopté un projet de loi qui interdit complètement l’interruption volontaire de grossesse (IVG), même pour les cas de viol ou lorsque la grossesse présente des risques mortels pour la mère. Ces lois placent les États-Unis parmi les pays les plus rétrogrades dans le domaine et elles font comprendre qu’il s’agit d’un droit loin d’être acquis.

Les mouvements religieux et conservateurs semblent gagner la partie aux États-Unis, puisque 43 % des Américaines, ce qui est presque la moitié d’entre elles, vivent aujourd’hui dans des États hostiles ou très hostiles au droit à l’avortement, selon une étude publiée par Radio-Canada. En 2000, seulement 7 % d’entre elles étaient dans cette situation. 

De la démocratie à la partisanerie? 

Ces lois vont être contestées devant la Cour suprême des États-Unis, qui est devenue majoritairement conservatrice depuis l’arrivée de Donald Trump au poste de la présidence. 

Le droit à l’avortement a été légalisé dans le pays en 1973 sous principe que jusqu’à 24 semaines de grossesse, le fœtus n’est pas viable. Par contre, certains éléments « plus vagues » de la loi ont permis aux États d’imposer des restrictions. Les militants anti avortement pensent que le plus haut tribunal du pays reviendra éventuellement sur ses décisions pro avortement, mais plusieurs experts ne pensent pas qu’une telle chose pourrait arriver. En fait, selon eux, un tel recul rendrait l’ensemble du système de justice américain instable. Si la Cour se plie aux demandes de la partisanerie, les Américains se retrouveraient donc dans un système de justice partisan, où aucune démocratie ne peut survivre. 

Par contre, selon Dick Howard, politologue et philosophe américain, la Cour « ne va pas interdire l’avortement, mais il est probable qu’elle dise que chaque État est libre de décider. » On pourrait alors être témoin de 50 régimes différents. 

Mon corps, mon choix 

L’éternel débat lorsqu’il est question du droit à l’avortement est celui du droit de la femme et celui du droit de vivre de l’enfant à naître. Au Québec, l’avortement est légal, gratuit et accessible à tous. Il n’y a pas de délai maximal en ce qui concerne un certain nombre de semaines où une femme a le droit de se faire avorter ou non, même si la majorité des IVG se déroulent lors du 1er trimestre. 

Tout de même, une certaine tendance semblable à celle aux États-Unis, quoique moins importante, s’installe tranquillement au Québec. En 2015, il y avait 15 centres « anti-choix » ou anti avortement et en 2018, ce chiffre était passé à 27. Cette situation inquiète la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) puisqu’elle affirme que ces groupes ont des arguments mensongers ou haineux qui peuvent grandement affecter les personnes plus vulnérables. Souvent, les gens d’opinion anti avortement comparent les IVG à des meurtres. À leurs yeux, la procédure occasionne des risques graves pour la santé de la femme et celle-ci peut vivre de nombreux regrets après l’acte, ce qui peut mettre à risque sa santé mentale. Lors d’une entrevue avec La Presse, une conseillère du centre de grossesse Options affirmait que « certaines personnes sont à l’aise après avoir décidé d’avorter, mais la plupart ont beaucoup de difficultés. »

L’histoire d’Emel

Suite à cette affirmation, Le Collectif s’est entretenu avec une jeune femme, Emel Thomas, très impliquée à Sherbrooke notamment pour faire la prévention des agressions sexuelles lors des événements sociaux. Très active sur sa page Facebook également, dont elle se sert pour dénoncer des injustices entre autres, elle a récemment partagé avec sa communauté son histoire avec l’avortement.

Malgré son enfance passée auprès d’une mère catholique qui bannissait les IVG de manière très stricte, Emel est tombée enceinte à l’âge de 19 ans et cela a complètement modifié sa façon de voir les choses. 

« Au début de mon secondaire, j’étais toujours du côté contre dans les débats sur l’avortement. Mon argument principal, c’était que toutes les vies étaient précieuses et que l’adoption était la meilleure option, surtout qu’il y a tellement de parents qui n’arrivent pas à procréer. Eh bien, j’avais tort. L’adoption n’est pas la meilleure option parce que ce n’est pas juste être parent qui est difficile, pas toujours possible ou pas toujours souhaité. Être un incubateur pendant 9 mois, ça change une vie. Accoucher, ça change une vie. Personne ne devrait être forcé de passer par là sans en avoir envie. Moi, j’aurais préféré mettre fin à mes jours plutôt qu’être forcée de continuer ma grossesse, parce que c’est traumatisant de ne pas avoir le contrôle sur ce qui se passe avec son propre corps. »

L’histoire d’Emel est semblable à celle de plusieurs autres femmes partout à travers le monde. Malgré le fait qu’à 19 ans, elle ait pris toutes les précautions nécessaires pour éviter de tomber enceinte, les moyens de contraception ne sont pas efficaces à 100 %. Par contre, comme elle l’affirme elle-même, « que ce soit parce que la grossesse est accidentelle, issue d’un viol, que la situation de la femme ne soit pas souhaitable pour élever un enfant, etc., il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons pour justifier un avortement. » La voix d’Emel est celle de plusieurs femmes qui souhaitent avoir le droit d’un plein contrôle sur leur propre corps.  

Même si les IVG restent un geste qui est difficile à faire, dans plusieurs cas, les femmes savent qu’il s’agit de la bonne chose pour elles. « Je pense sincèrement que pour beaucoup de femmes, c’est plus dommageable psychologiquement d’être forcé de mettre au monde un bébé que de se faire avorter. En tout cas, pour moi ce l’était! » 

Récemment, le premier ministre François Legault a annoncé que son gouvernement souhaitait rapatrier les femmes qui devaient être envoyées aux États-Unis afin de subir un IVG tardif, soit après 24 semaines de grossesse. Les réactions haineuses sur les réseaux sociaux suite à cette annonce inquiètent la FQPN et montrent que, même au Québec, l’avortement continuera de faire débat. 

Si certaines femmes souhaitent parler de leur situation à une personne qui l’a elle-même vécue, il est possible de rejoindre Emel Thomas sur Facebook ou par courriel


Crédit Photo @ Keith Brofsky

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